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Tout le monde a déjà entendu parler du festival Esperanzah !, mais connaissez-vous Jean-Yves Laffineur ? Vous avez peut-être croisé ce jeune quinqua, père de six enfants dans les rues de la commune, puisque Fernelmont compte depuis 2007 parmi ses administrés le fondateur de ce festival engagé. Rencontre avec un passionné de musique qui a fait de sa crise de la quarantaine un événement musical incontournable.

Monsieur Laffineur, parlez-nous de votre parcours et comment vous en êtes arrivé à organiser Esperanzah ! pour la11ème fois ?

Je suis psychologue de formation, orientation sociale, j’ai commencé à travailler dans le domaine social, puis j’ai complété ma formation par une licence en gestion. Très vite, je me suis spécialisé en gestion de projets, j’ai ainsi fondé une maison de jeunes, lancé une entreprise de tourisme intégré, un organisme de logements pour les sans-abri. Un profil socio-économique n’était pas très fréquent, on m’a proposé de travailler comme consultant indépendant en développement de projets, ce qui m’arrangeait bien car cela me laisse une certaine liberté d’action. J’ai également travaillé comme secrétaire du MOC à Namur, un secteur intéressant mais très réglementé.

Et Esperanzah ! ?

J’ai toujours été passionné de musique, je faisais tous les festivals. Je savais exactement ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas dans tous les festivals que je fréquentais. La crise de la quarantaine, chez moi, elle est passée par la décision de créer un festival qui correspondrait à ce que je recherchais sans le trouver. J’avais tellement aimé l’ambiance du festival Le Temps des Cerises, à Floreffe, que mon projet ne pouvait avoir lieu ailleurs. Floreffe, c’est un endroit magnifique, avec une histoire, c’est le lieu idéal pour installer un événement ouvert aux musiques d’ailleurs.
En 2002, il n’existait pas de festival qui réconciliait les deux piliers sur lesquels repose Esperanzah !: éthique et ouverture aux musiques d’ailleurs (je n’aime pas utiliser le terme « musiques du monde »). On était dans une époque de racisme émergeant, et le racisme est alimenté par la peur, la peur de l’autre et sa culture. L’ouverture aux musiques d’ailleurs permet de faire connaître d’autres peuples, de manière ludique et agréable : si on apprécie les rythmes d’un autre pays que le sien, on est ensuite plus enclin à aller vers ses habitants. La musique, c’est un moyen d’expression très puissant pour un peuple, d’ailleurs les dictatures n’aiment pas les artistes, car ce sont des hommes libres. C’est vrai j’adore Manu Chao, qui incarne bien le style qui me fait vibrer, qui symbolise le mélange des sons, le métissage des cultures, pour créer un genre musical nouveau.
L’éthique, c’est le refus du business, le refus de la mise en valeurs de marques commerciales, de sponsors envahissants. On a supprimé Douwe Egberts, Havana Club, Coca-Cola : c’est une question de cohérence ! Il est inconcevable d’accepter l’argent d’une multinationale qui exploite les nappes phréatiques de pays touchés par la sécheresse, alors que nous invitons les artistes de ces mêmes pays à partager leur musique et leurs souffrances.

Mais comment fait-on pour s’en sortir sans les marques, sans gros sponsors ?

On s’en sort, c’est possible puisqu’on le fait ! Depuis qu’on a éliminé Coca-Cola, notre chiffre d’affaires provenant de la vente de boissons n’a pas diminué. On a l’impression que ces grandes marques sont incontournables, mais lorsqu’on nous demande un coca au bar, on explique simplement qu’on n’en sert pas, et ça ne pose pas de problèmes. Nous travaillons avec un brasseur local, on vend de la limonade belge, de la bière de la Brasserie « La Silly ». Ces derniers ont d’ailleurs doublé leur chiffre d’affaires depuis qu’on vend leur bière sur le festival. Au niveau financement, on travaille avec des sponsors sélectionnés, notamment une agence de crédit éthique, on reçoit également des subsides. Mais notre organisation est fragile, on ne peut pas garantir le renouvellement du festival d’une année à l’autre. En 2002, j’avais crée une société, j’ai dû faire aveu de faillite après la première édition. Depuis la deuxième année, nous nous sommes constitués en ASBL, les comptes sont en équilibre. Mais c’est une entreprise à risque, c’est certain, nous prenons beaucoup plus de risques que d’autres festivals qui reçoivent de l’argent grâce à leurs sponsors.

Esperanzah !c’est un festival engagé qui fait la part belle au développement durable…

Au niveau du développement durable, nous organisions les choses suivant ce qui nous semblait logique, jusqu’à ce qu’on soit nominés pour le Grand Prix de la Fondation des Générations Futures. Nous nous sommes alors dit qu’on faisait sans doute plus que d’autres festivals. Alors nous avons voulu utiliser Esperanzah ! comme un moyen de faire passer des messages importants, à commencer par le fait que chacun est acteur du changement à son niveau.
On ne force rien pendant les trois jours de l’événement, on propose, on sensibilise, on montre que des comportements alternatifs sont possibles. On montre qu’on peut consommer local, acheter local. Bien sûr on insiste sur le tri des déchets, les gobelets doivent être rapportés contre caution, toutes les toilettes sont sèches …Une seule pétition tourne par festival, chaque année, des animations sont organisées autour d’un thème, en collaboration avec le CND 11-11-11. Il y a encore le village associatif, qui met en évidence des initiatives citoyennes.

Et les artistes, ils sont également sélectionnés sur des critères éthiques ?

Oui bien sûr, nous préférons travailler directement avec les artistes plutôt qu’avec leurs managers et divers intermédiaires, parce que tous ces intermédiaires signifient plus de dépenses pour nous. Mais parfois, on n’a pas le choix, et on privilégie alors des artistes réellement engagés, même s’ils dépendent de grosses maisons de production. Je pense notamment à Xavier Rudd ou à Tiken Jah Fakoly….Le combat de ce dernier pour l’Afrique est bien réel, mais son but ultime est d’un jour percer aux Etats-Unis, et pour cela, il doit passer par une grosse agence ….
Nous sommes en outre très fiers d’avoir lancé des artistes qui maintenant sont très demandés et ont trouvé le succès, c’est notamment le cas de Shaka Ponk.

Si vous aviez un conseil pour développer la culture au sein de votre commune, ce serait …

De mettre en évidence les ressources locales, car des artistes il y en a, il ne faut pas aller les chercher très loin. Je ne pourrais pas vous dire qui s’occupe de la culture ici à Fernelmont, c’est dire si je n’ai pas l’impression de ressentir une vie culturelle dans la commune. Pourtant Fernelmont compte un peu plus d’habitants que Floreffe finalement … mais c’est vrai que les entités sont plutôt dispersées, à l’inverse de Floreffe. Il manque sans doute un lieu central, un endroit où les artistes pourraient s’exprimer, se rassembler, une maison de la culture.
Je précise que je suis simplement un acteur culturel, je n’ai pas de carte de parti, je ne désire pas m’engager politiquement ….

Mais vous faites pourtant de la politique puisque vous faites changer les choses à travers Esperanzah !, certains festivaliers changent leur comportement, constatent qu’il est possible de consommer local …

Oui alors dans ce sens là oui, je fais de la politique, comme tous ceux qui essaient de faire changer les choses …

Rendez-vous sur www.esperanzah.be, et du 3 au 5 août prochain sur le site de l’Abbaye de Floreffe.

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